Ce numéro de Sofoot me dit bien...
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Foot - Experts
Le foot n'est plus ce qu'il sera
Le mythique Alfredo Di Stefano remet ce mois-ci quelques idées en ordre sur la place qu'a toujours eue l'argent dans le football.
Alfredo Di Stefano avoue avoir été l'un des tous premiers à marquer de la main. (EQ)
Je ne sais pas vous, mais on a senti pendant les vacances que certains sujets de l'actualité avaient un peu radicalisé la façon dont le public accepte - ou plutôt, n'accepte plus - le volume d'argent brassé par le football. Comme si les patinages de la FFF et de l'intéressé autour de la prime perçue par Raymond Domenech avaient réveillé le vieux réflexe qui sommeille en chacun, celui du «trop payés», avec dans son sillage ces jugements définitifs sur le foot qui n'aurait - si on laisse bien traîner les oreilles - plus qu'un lointain rapport avec le sport. Du business, mon bon Monsieur, pratiqué par des gens qui peinent à masquer leur faible envie de courir et qui les poussent aux plus vils comportements. Aux qualifications arrachées avec l'aide de la main, tiens, par exemple. On y a eu droit en décembre, dans un mélange des genres saisissant, entre le foie gras et la dinde. Même l'élite de la nation envoie le message que ces gens-là sont des nantis. Frédéric Thiriez, dans ses voeux 2010 diffusés sur internet, en fronce le sourcil de rage, parlant de l'«indignité» et des «attaques démagogiques» du Parlement contre les revenus des sportifs pro.
ALFREDO DI STEFANO A EU LE MALHEUR D'EXERCER AVANT QUE LA TÉLÉ DEVIENNE UN MÉDIA DE MASSE. C'EST SIMPLE : CEUX QUI L'ONT VU ÉVOLUER LE PLACENT DEVANT TOUS LES PLATINI, CRUYFF, ZIDANE ET AUTRES MESSI.
Heureusement, pour les vrais amateurs de ballon, il reste le football de papa. Quelques décennies de souvenirs étoilés sans rapport avec les minables calculs des hommes d'affaires en short d'aujourd'hui. De vrai foot, quoi. Le mensuel So Foot vient de faire paraître un hors-série en forme de Bible du foot-nostalgie, consacré à 50 légendes. Douze pages y sont consacrées à Alfredo di Stefano, qui raconte son itinéraire dans un remarquable document en forme d'entretien fleuve. Le nom de l'actuel président d'honneur du Real Madrid et de l'UEFA est probablement connu de tous, même si peu nombreux sont ceux qui mesurent la place de l'Hispano-Argentin dans l'histoire de ce jeu, lui qui a eu le malheur d'exercer avant que la télé devienne un média de masse. C'est simple : ceux qui l'ont vu évoluer le placent devant tous les Platini, Cruyff, Zidane et autres Messi. Décrivent un joueur total, surdoué techniquement et formidable d'impact physique. Cela lui a valu d'être sacré seul Super Ballon d'Or de l'histoire, en 1989. En 2005, à la veille de la cinquantième finale de C1 de l'histoire, Jacques Ferran, qui fut l'un des créateurs de la compétition et n'en a pas manqué grand chose, nous l'a juré au cours d'un dîner à Istanbul : Di Stefano était le plus grand de tous, sans exception.
Dans cet entretien, on en apprend de belles sur l'innocence tant regrettée du foot en noir en blanc. Sur la grève des footballeurs argentins qui a abouti à son départ pour la Colombie en 1949, Di Stefano nous dit : «Les joueurs n'étaient que des marchandises.» Son départ de River Plate à Bogota : «J'ai hésité. Mais quand les dirigeants des Millonarios m'ont annoncé ce que j'allais toucher, j'ai fait mes valises sans me poser de question. (...) Je gagnais autant d'argent en un an qu'en dix ans à River Plate. (...). Si River m'avait offert le même salaire (...), je serais resté en Argentine, c'est sûr. (...) Il y avait énormément de joueurs étrangers (...), tous là pour une seule chose : l'argent.» Sur le mythe voulant que Franco l'ait arraché au FC Barcelone : « Non, c'était une affaire de football et de gros sous ».
HISTOIRE DE NOUS PRENDRE UN ULTIME SOURIRE, DI STEFANO CONFIE AVOIR ÉTÉ « L'UN DES PREMIERS JOUEURS DE L'HISTOIRE À MARQUER DE LA MAIN ». PEU TIRAILLÉ PAR LA MORALE, IL S'ÉTONNE : « POURQUOI JE L'AURAIS DIT ? C'ÉTAIT UN BUT ! »
Histoire de nous prendre un ultime sourire, Di Stefano confie avoir été «l'un des premiers joueurs de l'histoire à marquer de la main». « Le défenseur tente de dégager le ballon, je mets mes mains en avant, et je touche la balle sans faire exprès. But !». Peu tiraillé par la morale, il s'étonne : «Pourquoi je l'aurais dit ? C'était un but !». Qu'on ne s'y trompe pas, Di Stefano plaçait le jeu au-dessus de tout. Quand le Real a voulu le forcer à devenir dirigeant, il a préféré filer à l'Espanyol Barcelone pour continuer sa carrière, à 37 ans. Il l'arrêterait en 1967 la quarantaine passée. Nul doute que la plupart des pros d'aujourd'hui n'en jugeraient pas l'utilité après leur dernier bon contrat. Mais à l'aune du témoignage de Di Stefano, les certitudes indignées des vrais connaisseurs du football n'ont pas fini de nous amuser. Quand il sera président d'honneur d'Arsenal dans trente ans, que la France fêtera en 2048 le demi-siècle de son titre de champion du monde, Thierry Henry sera l'Alfredo Di Stefano d'autres donneurs de leçons. Un souvenir ému. On regrettera le foot des années 2000, celui des Liverpool - Milan et autres Lyon - Marseille. A l'époque, voyez vous, on mouillait vraiment le maillot.
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